door willy » ma 16 sep , 2002 11:30
VENUS
Vénus, n'a primitivement qu'une personnalité très modeste.
Avec Feronia et Flore, elle symbolise le printemps et la fécondité.
Elle avait sa place dans les "Floralia" (28 avril - 3 mai) et les "Vinalia rustica" (9 août).
Venus est peut-être la création la plus originale du panthéon romain.
Ce n'est à l'origine qu'un appellatif neutre comme "genus" ou "opus".
Ce mot fait partie d'une série sémantique remarquable, "uenus-uenia-uenerari" ("uenerare" parfois chez Plaute) qui est comparable à la série "genus-Genius-generare".
L'emploi du verbe dérivé de ce "uenus" neutre, "uenerari" (uenes-ari) chez Plaute et les auteurs de l'ère républicaine montre qu'il est exclusivement réservé au domaine religieux.
Quelle est sa signification ?
Il ne se prête pas à une traduction directe et exhaustive; la tournure plautinienne "ueneror... ut" (que ne retiendra pas l'usage classique) suggère la transposition suivante «j'exerce (sur telle divinité) un charme (pour obtenir) que... ».
En ce sens, le verbe traduit une attitude de séduction envers les dieux, une attitude de confiance inconditionnelle, qui distingue ce type de prière du type contractuel, fondé sur le postulat juridique "dabo cum dederis" «je donnerai quand tu auras donné». A ce «charme» persuasif, que le "uenerans" pratique à l'égard des dieux, correspond le corrélatif "uenia" qui a le sens de «grâce» ou de «faveur» (ce mot relève du «vocabulaire technique des pontifes», précise Servius, ad Aen., 1, 519).
Le neutre "uenus", qui était serti dans le verbe religieux par excellence "uenerari", a été personnifié, conformément au génie romain, porté à diviniser des abstractions: cette métamorphose, qui s'est sans doute accomplie à Lavinium, s'est traduite par le glissement du neutre au féminin.
L'Aphrodite grecque et la Turan étrusque n'ont sans doute pas été étrangères à ce processus de divinisation.
Mais le processus reste original, dans la mesure ou la racine "uen-", attestée dans les domaines osque, vénète, hittite n'a donné, nulle part ailleurs, naissance à une divinité (dans le domaine osque, l'homologue de la Venus latine est "Herentas", formée sur une racine différente, "her-", «vouloir»).
La promotion divine de "uenus" (neutre) en "Venus" (déesse) a bénéficié de la rencontre de la déesse avec la légende troyenne.
Celle-ci exaltait l' "Aeneadum Genetrix", la «mère des Énéades» dans un rôle de mère tutélaire.
Le mythe correspondait (une fois n'est pas coutume) fidèlement au rite : il explicitait en langage discursif l’octroi de la "uenia deum" «la grâce des dieux» que recherchait le Romain "uenerans".
Il insinuait que le Romain était privilégié à cet égard, puisque la spécialiste de la "captatio ueniae" était la médiatrice du peuple des Romains Énéades auprès des dieux. Ainsi s'expliquent les déclarations célèbres des Romains revendiquant le titre de «peuple le plus religieux du monde» (Cicéron, N.D., 2, 3, 8; "De haruspicum responsis", 9, 19) : ces protestations de "pietas", de "ueneratio" impliquaient l'espoir d'obtenir "pacem ueniamque deum" «la faveur et la grâce des dieux», selon l’expression fréquente de Tite- Live.
Dans la religion officielle se vérifie le rôle tutélaire de Vénus.
Elle est associée au culte de Jupiter dans les "Vinalia", qui sont censés avoir été institués par Énée.
La première fondation d’un temple en son honneur, au début du IIIe siècle av. J.-C., concerne "Venus Obsequens" «Vénus propice » : il avait été voué par Q. Fabius Gurges, en pleine bataille, en 295 av. J.-C., pour obtenir la victoire sur les Samnites.
C'est au IIIe siècle que le rôle intercesseur de Vénus s'est vérifié avec le plus d'éclat, au cours des deux premières guerres puniques.
Lors de la première de ces guerres, les Romains n'ont pas hésité à soustraire la déesse de l'Éryx à l'emprise de l'adversaire punique et à se mettre sous sa protection : pour ce faire, ils ont tiré parti de la légende troyenne qui était vivante dans le pays des Élymes et de leur résistance victorieuse au sommet du mont Éryx.
Le syncrétisme avait servi la cause romaine : il avait favorisé la mystique victorieuse en Sicile, en assimilant Aphrodite Érycine à Vénus.
Aussi les Romains ont-ils eu recours à la même déesse, lors de la seconde guerre, dirigée contre le même ennemi.
C'est dans le même contexte que s'inscrit l'association de Vénus avec Mars, lors du lectisterne de 217 av. J.-C.
L'interprétation «troyenne» de la déesse du mont Éryx explique que le culte de Vénus Érycine comporte un double statut religieux à Rome: sur le Capitole, à l'intérieur du
"pomerium", Vénus Érycine était vénérée comme une déesse romaine; en dehors du "pomerium", près de la porte Colline, elle rappelait son origine étrangère.
La leçon ne sera pas perdue pour l’avenir.
Vénus restera dans la ligne latine de son rôle propitiatoire, tout en se prêtant aux extensions du syncrétisme méditerranéen.
Ainsi Sylla affectera de reconnaître dans l'Aphrodite d'Aphrodisias l'alliée des Romains; il réussira même à faire avaliser par l'oracle de Delphes la validité des prétentions religieuses des Romains Énéades.
Au Ier siècle av. J.-C., la seule nouveauté consiste en ceci : les aventuriers politiques qui vont se succéder au pouvoir cherchent à tirer de cette situation un avantage personnel.
"Venus Felix" (Sylla), "Venus Victrix" (Pompée), "Venus Genetrix" (César) : chacun tentera de se concilier la déesse, en la dotant d'une épithète qui la marque par une empreinte originale.
César, qui revendiquait une descendance directe, était le mieux placé pour exploiter à son profit personnel la mystique troyenne.
Par le culte de "Venus Genetrix", il donne sa forme définitive au credo national, qui proclame Vénus, Mère des Romains et Mère des Césars.
Les retouches apportées par Auguste à l’œuvre de son père adoptif ne laissent pas de respecter le dogme essentiel : à cette date, l'œuvre théologique est achevée.
Larousse : Mythologie générale
